Dos à dos
Dos à dos.
Les deux femmes se tenaient dos à dos, afin de s’assurer la meilleure vigilance face au moindre geste ennemi. Toute tentative d’attaque serait parée. Du moins, l’une d’elle tenterait de la parer. Autour d’elles dans l’obscurité, on pouvait entendre les grognements et flaires d’une meute de prédateurs. Réveillées en pleine nuit par un sinistre hurlement, elles avaient tout juste eu le temps de saisir leur bâton respectif. Le feu de camp n’était plus que braises, et le chant des grillons s’était tu.
La nuit était fraîche, et le ciel dégagé dévoilait se trame constellée. L’ennemi s’approchait, le bruit de pas lourds écrasant branches basses et herbes ne laissait aucun doute sur l’imminence de leur assaut. Elles se penchèrent rapidement et saisire leur couvre chef. La jeune féca aux cheveux violets plaça rapidement un dora quelques peu malmené sur son crâne, et la rousse sadida au duvet vert enfila une coquille de dragoeuf saphire.
«
Sont combien d’après toi cocotte ? » interrogea Zamie. «
je ne sais pas. Trop… ils sont tellement sûrs d’eux qu’ils cherchent même pas à être discrets » Zamie effectua quelques gestes autour d’elle, et toutes deux furent dotées de diverses armures magiques. Quand à Hersinn, elle sortit d’on ne sait où une poupée explosive et une petite folle, encore toute incrustée d’os de chafer. Avant même que les poupées n’aient fait un pas, un effroyable hurlement déchira l’obscurité. Les deux poupées s’effondrèrent en lambeaux. L’assaut était donné.
«
Oh bordel » laissèrent échapper les donzelles, dont la surprise faisait oublier toute retenue verbale.
Trois mulous et quatre millimulous se jetaient sur elles en hurlant, jappant, grognant, d’une démarche à la fois bipède et animale.
Avant que les fauves ne soient trop près, Hersinn fit pousser d’un geste de la main les herbes se trouvant sous les pattes de deux mulous. Leurs racines émergèrent du sol, telles de fins tentacules, et leurs feuilles se firent plus tranchantes. Les mulous se trouvèrent ainsi quelques peu écorchés et ralentis. La surprise de l’un d’eux fut plus grande lorsqu’il vit une liane émerger des herbes animées, et qu’il la sentit lui saisir vivement une patte, le clouant presque au sol mais guérissant ses coupures. Quant à l’autre, il sentit son sang devenir piquant et ses poils poisseux.
Zamie invoqua de son coté un glyphe, qui enflamma l’herbe et les branches basses au niveau de milimulous qui s’étaient regroupés. Leurs poils s’enflammèrent jusqu’aux molets, et les cris de douleur qu’ils poussaient n’étaient pas feints. Elle leva la main vers un mulou dangereusement proche, dont la vue se troubla.
Un oiseau dérangé dans son sommeil quitta précipitamment l’arbre où il avait trouvé refuge, émettant des pépiements d’alerte. De fines nappes de brume apparurent, se dirigeant vers la féca. Elles l’entouraient en tournoyant, formant un voile ascendant, qui devenait au-dessus de sa tête une sorte de petit nuage de plus en plus dense. Derrière ce vortex inversé, on distinguait le regard particulièrement déterminé de Zamie, qui ne laissait plus de place au doute, ni à la réflexion. Tout demeurait dans la perception du moment présent, notant chaque geste de ses adversaires.
Un milimulou se jeta sur Hersinn en beuglant sa rage, suivi de près par un mulou. Quant à Zamie, elle essuya deux magistraux coups de pattes d’un mulou qui faisait presque deux fois sa taille. La flamme qui brillait dans ses yeux de fauve ne trouvait pas uniquement sa source dans le reflet du feu environnant, mais également dans son farouche désire de mort.
Zamie n'avait pas bronché. Les coups de pattes ne l'avaient pas affectée. Sa peau semblait de pierre. Le dora qu'elle portait se retrouva baissé sur son oeil gauche. Un morceau d'osier bordant la coiffe était brisé. Zamie se mordit la lèvre inférieure, et leva les bras vers le mulou "
tu vas payer ça!! " .
Le nuage qui la dominait se plaça rapidement au-dessus de mulou, et y
relargua toute l'électricité statique qu'il avait accumulée en un éclair
ravageur. La bête fut sonnée et appuya un genou à terre. Elle en profita
pour lui corriger la face d'un puissant coup de bâton qui laissa échapper
quelques braises. Une odeur de poil brûlé régnait su le champ de bataille.
Le mulou, qui peut être avait feint, la saisit alors par la taille et la projeta au sol.
De son côté, alors que ses yeux se chargeaient de larmes de colères, Hersinn pointa son bâton en direction du mulou. Comme deux rivières rompant leur digue, ses yeux lâchèrent de manière inattendue deux rivières de larmes. Une fois ce premier assaut envoyé, elle s'encra au sol en position fléchie, épaule et bâton en avant, de manière à encaisser la riposte des fauves. Des poils avaient été arrachés par la pression des larmes, et quelque unes de ses dents étaient brisées. La bête hurla, articula presque une incantation, et toutes ses blessures se refermèrent. Deux milimulous le couvrirent et s'attaquèrent à Hersinn au corps à corps. Elle put parer de son bâton deux coups de pattes, mais le second milimulou fit mouche par deux fois. Un des coups fut freiné par sa coiffe et atterrit contre son épaule, et le second coup lui lacéra le bras. Elle sentit d'abord la force du coup qui la repoussa sur le côté, puis une douleur lancinante, une brûlure... Sa peau avait beau être verte, le sang qui ruisselait de sa blessure n'en était pas moins rouge. Le milimulou semblait sourire, et son regard s'illumina. Plein d'assurance, il leva la patte pour lui redonner un coup.
Pendant ce temps, Zamie et son adversaire se roulaient dans l'herbe dans une violente parodie d'étreinte. Coups de bâton et de griffes s'échangeaient sans aucune retenue, mais la bête gigantesque sembla tirer avantage de sa grande taille. Avec une patte brisée, elle finit par mordre Zamie de sa face brûlée en plein cou et clavicule. Protégée de ses armures, Zamie sentait les crocs ne s'enfoncer que très légèrement dans ses chaires. Le problème résidait davantage dans la pression qu'exerçait le mulou contre son sternum et son cou, qui commençait à l'étouffer. La bête la sentait suffoquer, et profita de son avantage. Elle resserra son étreinte et sa morsure se fit plus forte. Mais Zamie ne se laissa pas mourir si vite. Elle ne cessait de donner des coups de bâton à son adversaire, qui dans la tête, qui dans les côtes. Ses mouvement manquaient d'amplitude et de force, du fait de ce combat rapprocher. Elle finit cependant par lui faire lâcher son corps, en lui flanquant un violent coup de l'arrière du bâton dans les bourses. La bête se roula par terre en se tenant l'entre jambe d'une patte, jappant comme un chiot. Fière de sa victoire, Zamie essuya le sang et la bave qui couvraient sa joue gauche, puis se tourna vers les milimulou qui frappaient Hersinn.
Avant qu'elle ne put jeter un sort, la sadida utilisa la technique du « doux
bleu-kil », qui lui permit de frapper très rapidement et par deux fois
simultanément les ennemis qui lui faisaient face. Les milimulous tombèrent en arrière, morts. Cependant, Hersinn n'eut pas le temps d'apprécier cette petite victoire : un mulou surgit soudain en repoussant violemment les deux cadavres, qui roulèrent dans les herbes hautes. Zamie qui était restée vigilante, n'eut pas le temps de s'interposer, mais d'un geste de la main, réussit à doter Hersinn d'une immunité temporaire.
Judicieux choix, qui permit à la sadida de se sortir indemne de deux énormes assauts. D'une patte avant, plus grosse que la tête rousse, il plaqua la sadida au sol, et avant même que la coiffe ne la rejoignit dans les herbes, il l'écrasa d'une lourde patte arrière griffue.
Même si Hersinn ne fut pas blessée, elle fut tellement estourbie que tout sens de l'orientation et de l'équilibre l'avait quitté. Le mulou la saisit par une jambe et la leva au-dessus du sol, ignorant la foudre envoyée par Zamie qui lui brûlait l'échine.
Les cheveux roux d'Hersinn se mêlèrent à l'herbe, puis sifflèrent dans les airs lorsque le mulou la projeta contre un arbre. Hersinn sentit son dos s'enflammer et sa tête exploser. Elle eut juste le temps de voir Zamie s'acharner à coups de bâton contre le mulou qui la fixait, avant de sombrer dans l'inconscience.
Lorsqu'elle vit le corps d'Hersinn atteindre l'arbre, Zamie regretta de ne
pas avoir mieux appris ses leçons d'immunité. A en voir la position qu'avait pris la nuque de son amie, et à entendre le sinistre craquement qui ne provenait malheureusement pas de l'arbre lors de l'impact, elle craignit le pire. Ce qui ne fit que redoubler sa colère et son ardeur à en finir avec ce mulou. Le fauve pourtant l'ignorait, et se dirigeait de nouveau vers Hersinn, comme s'il souhaitait s'assurer d'avoir bien éliminé la sadida. La bête saignait du dos et brûlait encore en se déplaçant, mais ne résista pas au coup de bâton qui lui brisa l'arrière du crâne.
Plus rien ne bougeait, tout était silencieux, hormis le léger crépitement de
brindilles finissant de brûler au sol. Zamie reprit son souffle en appuyant
ses mains contre ses hanches. Elle se tourna vers Hersinn avec appréhension.
La sadida ne bougeait plus, son corps inerte gisait au pied de l'arbre.
Zamie s'approcha doucement, ramassa la coiffe et le bâton d'Hersinn puis
s'agenouilla auprès d'elle. Elle tendit une main vers l'épaule verte de la
sadida, mais n'osa pas la relever.
Elle ne respirait plus. Sa main encore tendue se crispa, et se referma en poing de rage. Puis finalement la main se rouvrit, puis se dirigea vers le visage de Zamie. «
Hersinn ! » appela-t-elle. «
Oh non ! non ! » s'écria-t-elle en plaquant une main contre sa bouche. Des larmes commençaient à perler au coin de ses yeux. Le corps de la sadida devint translucide, ainsi que la coiffe et le bâton qui étaient posés contre elle.
Dans une légère lumière, le corps d'Hersinn finit par disparaître. La lumière semblait se concentrer vers le coeur, et s'éleva comme une luciole vers le ciel. Zamie contempla la scène, comme médusée.
La lumière finit par crépiter, et soudain une forme blanchâtre et diaphane
apparut.
«
Eh merde !!! » fit le spectre avec une voix pleine d'écho."
J'en ai marre ! Bon, excuse-moi Zamie, mais je te rejoins dès que je peux. Rendez-vous au zaap le plus proche ". La forme éthérée leva le bras gauche en l'air, et incanta une formule magique. Une alliance se mit à resplendir autour de son annulaire «
par les liens sacrés du mariage, j'en appelle à la proximité de mon époux ! » La lumière de la bague se fit étincellante, et dans un flash, le spectre d'Hersinn disparut.
Zamie resta seule dans la nuit, agenouillée sous un arbre, bouche bée et
joues mouillées. Derrière elle un corbeau passa, laissant échapper son
sinistre croassement. Les dernières flammes s'éteignirent, la laissant dans la totale obscurité.